14/12/2007
Un putain de vendredi matin à la gare, je venais de louper mon train et j'attendais le suivant, je tuais le temps en feuilletant des conneries au point Tabac-Presse du hall, ce pseudo libraire, utilitaire, ce stock permanent de morphine tue-l'ennui, vite consommée et vite perimée.
Faut bien l'avouer, cette histoire de train, j'en avais pas grand chose à foutre.
Alors que je faisais semblant de ne pas voir venir la chute graveleuse d'une aventure de Pépé Malin, quelqu'un s'est mis à gueuler pas loin. Au guichet, juste a coté. Je ne sais pas pourquoi, un probleme quelconque, un billet pas possible à echanger, un horaire emmerdant, une correspondance bidon... Un détail à la con venant saboter l'emploi du temps qu'on avait bien planifié longtemps à l'avance, connards de cheminots, salauds d'fonctionnaires, planqués, terroristes, qui prenaient la routine en otage une fois de plus. J'ai bien vite rabaissé les yeux sur la nouvelle proie de Pépé, une infirmière je crois, à la poitrine hypertrophiée comme il se doit.
Ca ne s'est pas arreté, la nana au guichet entretenait le barouf, elle avait une voix particulierement chiante, une voix de gamine capricieuse. J'ai relevé les yeux, encore une fois, et j'ai vaguement tenté de piger ce qui se passait. Ca ou les galipettes du satyre ridé, ca marche aussi bien pour passer le temps.
C'est inadmissible, et comment je fais moi, vous pouvez bien faire un effort quand même. Scandale. Je ne sais toujours pas ce qu'elle veut. A coté d'elle il y a une vieille en fauteuil roulant. Je comprend qu'elle est plus ou moins la cause du probleme.
-"Et comment elle fait ma grand mère, pour monter dans le train ?" la gamine dit. Mamie, elle, ne dit rien. Pauvre vieux debris. Elle laisse l'autre se debrouiller. Peut être qu'elle y entrave encore moins que moi. Peut être qu'elle a honte. Ou peut être qu'elle s'en fout, tout simplement.
Les gens autour, tout autour, regardent cette jeune fille qui s'insurge, qui ne voit pas qu'on la regarde, et qui s'use les poumons pour defendre son fardeau. Elle a la voix toute gonflée, presque rauque, on dirait qu'elle va se mettre à chialer. Je n'entends pas ce que l'employée, sapée toute en bleu derriere la vitre, lui repond. Et les gens se demandent, bordel, mais c'est quoi, au juste, le probleme ?
Le probleme, je finis par comprendre, c'est que les escalators menant aux quais ne fonctionnent pas, et que la pauvre vieille avec son fauteuil ne peut pas descendre, et donc prendre son train. Je vois souvent des agents SNCF s'occuper de ces vieux machins, les aider à monter, les fourrer dans un wagon pour qu'un collegue les en sorte a l'arrivée, et les relache dans la nature. Le probleme, c'est qu'apparement le preposé aux handicapés est en congé aujourd'hui, peut être qu'il fallait reserver ses services, je ne sais pas trop, je ne suis pas encore, Dieu merci, trop au courant de ce genre de trucs.
Et tout le monde regarde, c'est comme à la TV en mieux.
Je me dis qu'il suffit que deux connards se decident, l'attrapent chacun par un bout, l'ancetre et sa charette, et la descende sur ce putain de quai. Probleme reglé, plus besoin de chialer, c'est fini, la, la, tout va bien. Moi je ne veux pas m'y coller. Branque comme je suis, je ne reussirais qu'à la faire chavirer, la vieille. Alors je me roule un clope et je me tire, le mien, de train, ne va plus tarder, je me tire vers mon quai à moi et je les laisse se demerder.
En train de me les geler devant les rails j'allume ma seche et je repense vaguement à tout ca, faut bien l'occuper, l'autre bulbe amorphe.
Bien entendu, mon excuse, mes scrupules quand au confort du colis, tout ca c'est du flan. La verité, c'est que je m'en fous. La verité c'est que je ne vaux pas mieux que le troupeau de citoyens la haut, temoins passifs aux yeux de bovins, qui contemplaient la scene histoire de combler pour une minute leur vide, de se sortir vite fait du train-train quotidien avant d'y replonger. De se sentir vivre un peu au coin du feu, devant ce cadavre ambulant. Apathique. Tout comme eux. Et tout comme moi. Rien à foutre.
J'entends la voix de la gamine à nouveau. La-bas, en face, sur l'autre quai, deux types, deux voyageurs descendent l'escalier, et la grand-mère flotte entre eux, les roues de son vehicule tournant dans le vide. Alleluïa. A coté, la môme leur cause, elle les remercie, et faites attention quand même, ne la bousculez pas trop, tout va bien madame, on la tient bien, merci encore, mais de rien, c'est tout naturel, merci.
Ouais. Deux heros. Il fallait bien que quelqu'un s'en charge. Que quelqu'un brise enfin la glace, regle le probleme, sauve le monde. Deux hommes braves, forts, assez forts pour affronter l'indiférence generale. Prendre les choses en main. Defendre la veuve et l'orpheline. Je les regarde pendant qu'ils deposent Mémé surle sol. Mission accomplie. Victoire. Je me sens un peu merdeux, mais pas trop. Mémé, elle ne dit rien, elle ne bouge pas, ne réagis pas.
Et de mon coté de la voie, un peu plus loin sur le quai, un type se met à applaudir. Lentement. Chaque claquement de ses mains pue l'ironie, le sarcasme. Il continue à taper dans ses mains encore un peu, les yeux fixé sur le quai d'en face, et puis il les met en coupe, ses mains, autour de sa bouche.
-"Bravo", il lance à la nana en bleu, la même employée que dans le hall, ou peut être pas, qui vient d'aider de loin à la manoeuvre.
-"Bravo, il dit. On vous comprend. C'est vrai que c'est pas chauffé ici, on comprend que vous n'ayez pas envie de descendre".
Et il remet ca, Clap clap clap.
La dame en bleu n'a pas pigé, elle lui demande de repeter, et il s'execute, plusieurs fois, elle n'a pas pigé qu'il se foutait d'elle, elle pense peut être qu'il y a encore un probleme et qu'elle hait ce taf.
-"Ici, sur les quais, il explique. C'est pas chauffé.
- Et alors ?" elle repond et elle à l'air de se dire "mais qu'est ce qu'il me veut ce dingue ?". Moi, je matte le bout de mon clope, et j'essaye de faire un rond en recrachant la fumée.
Et puis ca se remet à brailler en face. La gamine, la jeune fille devouée qui prenait soin de sa mère-grand, s'est jeté sur l'autre, celle en bleu, qui n'a pas l'air de comprendre mieux que moi ce qui se passe. "Je vais la tuer", la gamine hurle, "Sale chienne", elle gueule aussi d'autres trucs que j'ai oublié. Devant moi, une femme, la quarantaine, se retourne et sors : "Y'a vraiment des gens pas biens".
Ca ne dure pas plus d'une dizaine de seconde, quelqu'un s'est retrouvé au millieu, separe la furie de sa victime, sans trop de difficulté. Et la môme fond en larme. "Excusez moi. J'suis pas comme ca normalement, j'en peux plus, excusez moi". Sa victime d'il y a pas une minute l'emmenne un peu plus loin, lui cause, calme le jeu.
Je regarde le type qui applaudissait. Il ne dit plus rien, son visage n'exprime plus rien. Les deux heros ont disparu. Et dans son fauteuil, Mamie ne dit rien non plus, ne bouge toujours pas. Je ne sais même pas si elle se rend compte de ce qui se passe autour d'elle.
J'ecrase ma clope sur le quai, je regarde l'heure. La voix en plastique dans les hauts parleurs nous dit de nous eloigner des rails.
Ce qui se passe c'est que tout le monde s'en fout. Que plus personne n'est foutu de réagir, d'une manière ou d'une autre, face au moindre imprevu. Plus personne ne pige plus rien, plus personne ne cherche à piger quoi que ce soit.
Ce qui se passe, c'est que plus personne ne sait ce qui se passe.
Le train pour Nantes arrive en gare. Sur l'autre quai, les choses ont l'air de se calmer. Je me plante devant la porte d'un wagon, j'attend qu'un autre troupeau de gens en descende avant d'aller m'asseoir. Je jette encore un oeil par la fenetre, vers la Mémé, la vieille toute parcheminée passive, immobile. Morte. Comme nous tous.
Et je me dis que j'en ai vraiment, mais vraiment rien à foutre.
Faut bien l'avouer, cette histoire de train, j'en avais pas grand chose à foutre.
Alors que je faisais semblant de ne pas voir venir la chute graveleuse d'une aventure de Pépé Malin, quelqu'un s'est mis à gueuler pas loin. Au guichet, juste a coté. Je ne sais pas pourquoi, un probleme quelconque, un billet pas possible à echanger, un horaire emmerdant, une correspondance bidon... Un détail à la con venant saboter l'emploi du temps qu'on avait bien planifié longtemps à l'avance, connards de cheminots, salauds d'fonctionnaires, planqués, terroristes, qui prenaient la routine en otage une fois de plus. J'ai bien vite rabaissé les yeux sur la nouvelle proie de Pépé, une infirmière je crois, à la poitrine hypertrophiée comme il se doit.
Ca ne s'est pas arreté, la nana au guichet entretenait le barouf, elle avait une voix particulierement chiante, une voix de gamine capricieuse. J'ai relevé les yeux, encore une fois, et j'ai vaguement tenté de piger ce qui se passait. Ca ou les galipettes du satyre ridé, ca marche aussi bien pour passer le temps.
C'est inadmissible, et comment je fais moi, vous pouvez bien faire un effort quand même. Scandale. Je ne sais toujours pas ce qu'elle veut. A coté d'elle il y a une vieille en fauteuil roulant. Je comprend qu'elle est plus ou moins la cause du probleme.
-"Et comment elle fait ma grand mère, pour monter dans le train ?" la gamine dit. Mamie, elle, ne dit rien. Pauvre vieux debris. Elle laisse l'autre se debrouiller. Peut être qu'elle y entrave encore moins que moi. Peut être qu'elle a honte. Ou peut être qu'elle s'en fout, tout simplement.
Les gens autour, tout autour, regardent cette jeune fille qui s'insurge, qui ne voit pas qu'on la regarde, et qui s'use les poumons pour defendre son fardeau. Elle a la voix toute gonflée, presque rauque, on dirait qu'elle va se mettre à chialer. Je n'entends pas ce que l'employée, sapée toute en bleu derriere la vitre, lui repond. Et les gens se demandent, bordel, mais c'est quoi, au juste, le probleme ?
Le probleme, je finis par comprendre, c'est que les escalators menant aux quais ne fonctionnent pas, et que la pauvre vieille avec son fauteuil ne peut pas descendre, et donc prendre son train. Je vois souvent des agents SNCF s'occuper de ces vieux machins, les aider à monter, les fourrer dans un wagon pour qu'un collegue les en sorte a l'arrivée, et les relache dans la nature. Le probleme, c'est qu'apparement le preposé aux handicapés est en congé aujourd'hui, peut être qu'il fallait reserver ses services, je ne sais pas trop, je ne suis pas encore, Dieu merci, trop au courant de ce genre de trucs.
Et tout le monde regarde, c'est comme à la TV en mieux.
Je me dis qu'il suffit que deux connards se decident, l'attrapent chacun par un bout, l'ancetre et sa charette, et la descende sur ce putain de quai. Probleme reglé, plus besoin de chialer, c'est fini, la, la, tout va bien. Moi je ne veux pas m'y coller. Branque comme je suis, je ne reussirais qu'à la faire chavirer, la vieille. Alors je me roule un clope et je me tire, le mien, de train, ne va plus tarder, je me tire vers mon quai à moi et je les laisse se demerder.
En train de me les geler devant les rails j'allume ma seche et je repense vaguement à tout ca, faut bien l'occuper, l'autre bulbe amorphe.
Bien entendu, mon excuse, mes scrupules quand au confort du colis, tout ca c'est du flan. La verité, c'est que je m'en fous. La verité c'est que je ne vaux pas mieux que le troupeau de citoyens la haut, temoins passifs aux yeux de bovins, qui contemplaient la scene histoire de combler pour une minute leur vide, de se sortir vite fait du train-train quotidien avant d'y replonger. De se sentir vivre un peu au coin du feu, devant ce cadavre ambulant. Apathique. Tout comme eux. Et tout comme moi. Rien à foutre.
J'entends la voix de la gamine à nouveau. La-bas, en face, sur l'autre quai, deux types, deux voyageurs descendent l'escalier, et la grand-mère flotte entre eux, les roues de son vehicule tournant dans le vide. Alleluïa. A coté, la môme leur cause, elle les remercie, et faites attention quand même, ne la bousculez pas trop, tout va bien madame, on la tient bien, merci encore, mais de rien, c'est tout naturel, merci.
Ouais. Deux heros. Il fallait bien que quelqu'un s'en charge. Que quelqu'un brise enfin la glace, regle le probleme, sauve le monde. Deux hommes braves, forts, assez forts pour affronter l'indiférence generale. Prendre les choses en main. Defendre la veuve et l'orpheline. Je les regarde pendant qu'ils deposent Mémé surle sol. Mission accomplie. Victoire. Je me sens un peu merdeux, mais pas trop. Mémé, elle ne dit rien, elle ne bouge pas, ne réagis pas.
Et de mon coté de la voie, un peu plus loin sur le quai, un type se met à applaudir. Lentement. Chaque claquement de ses mains pue l'ironie, le sarcasme. Il continue à taper dans ses mains encore un peu, les yeux fixé sur le quai d'en face, et puis il les met en coupe, ses mains, autour de sa bouche.
-"Bravo", il lance à la nana en bleu, la même employée que dans le hall, ou peut être pas, qui vient d'aider de loin à la manoeuvre.
-"Bravo, il dit. On vous comprend. C'est vrai que c'est pas chauffé ici, on comprend que vous n'ayez pas envie de descendre".
Et il remet ca, Clap clap clap.
La dame en bleu n'a pas pigé, elle lui demande de repeter, et il s'execute, plusieurs fois, elle n'a pas pigé qu'il se foutait d'elle, elle pense peut être qu'il y a encore un probleme et qu'elle hait ce taf.
-"Ici, sur les quais, il explique. C'est pas chauffé.
- Et alors ?" elle repond et elle à l'air de se dire "mais qu'est ce qu'il me veut ce dingue ?". Moi, je matte le bout de mon clope, et j'essaye de faire un rond en recrachant la fumée.
Et puis ca se remet à brailler en face. La gamine, la jeune fille devouée qui prenait soin de sa mère-grand, s'est jeté sur l'autre, celle en bleu, qui n'a pas l'air de comprendre mieux que moi ce qui se passe. "Je vais la tuer", la gamine hurle, "Sale chienne", elle gueule aussi d'autres trucs que j'ai oublié. Devant moi, une femme, la quarantaine, se retourne et sors : "Y'a vraiment des gens pas biens".
Ca ne dure pas plus d'une dizaine de seconde, quelqu'un s'est retrouvé au millieu, separe la furie de sa victime, sans trop de difficulté. Et la môme fond en larme. "Excusez moi. J'suis pas comme ca normalement, j'en peux plus, excusez moi". Sa victime d'il y a pas une minute l'emmenne un peu plus loin, lui cause, calme le jeu.
Je regarde le type qui applaudissait. Il ne dit plus rien, son visage n'exprime plus rien. Les deux heros ont disparu. Et dans son fauteuil, Mamie ne dit rien non plus, ne bouge toujours pas. Je ne sais même pas si elle se rend compte de ce qui se passe autour d'elle.
J'ecrase ma clope sur le quai, je regarde l'heure. La voix en plastique dans les hauts parleurs nous dit de nous eloigner des rails.
Ce qui se passe c'est que tout le monde s'en fout. Que plus personne n'est foutu de réagir, d'une manière ou d'une autre, face au moindre imprevu. Plus personne ne pige plus rien, plus personne ne cherche à piger quoi que ce soit.
Ce qui se passe, c'est que plus personne ne sait ce qui se passe.
Le train pour Nantes arrive en gare. Sur l'autre quai, les choses ont l'air de se calmer. Je me plante devant la porte d'un wagon, j'attend qu'un autre troupeau de gens en descende avant d'aller m'asseoir. Je jette encore un oeil par la fenetre, vers la Mémé, la vieille toute parcheminée passive, immobile. Morte. Comme nous tous.
Et je me dis que j'en ai vraiment, mais vraiment rien à foutre.
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